
Les droits sociaux sont des titres de participation permettant l’exercice d’un pouvoir de contrôle au sein d’une société. Ces droits sociaux peuvent faire l’objet d’un démembrement.. Mais que se passe t-il lorsqu’une société dont les titres sont démembrés décide de distribuer ses réserves ? A qui reviennent ces dividendes exceptionnels ?
Si les bénéfices distribués (fruits) reviennent en principe à l’usufruitier, les plus-values (produits) sont dévolues au nu-propriétaire. Ainsi la question se pose concernant la distribution de dividendes prélevés sur les réserves.
En la matière, et à défaut de clauses figurant dans les statuts, plusieurs avis s’opposent concernant la distribution de ces sommes. Pour certains, elles reviennent à l’usufruitier en pleine propriété. A l’instar, d’ailleurs, du dividende prélevé sur les résultats. D’autres considèrent, au contraire, que les sommes distribuées doivent revenir au nu-propriétaire. Toutefois, cette seconde appréciation semble contestable puisqu’elle priverait l’usufruitier de son droit sur l’actif distribué. Ceci d’autant plus que l’usufruitier aurait pu recevoir, en intégralité, les résultats à l’origine de la réserve, s’il en avait décidé la distribution l’année de sa réalisation. D’autres, encore, estiment que les réserves distribuées sous forme de dividendes reviennent à l’usufruitier qui exerce sur elles, un droit de quasi-usufruit. Le nu-propriétaire retrouvant le bénéfice de ces réserves au décès de l’usufruitier par la constatation d’une dette de restitution déductible de l’actif successoral de ce dernier.
C’est d’ailleurs cette troisième solution, satisfaisante pour le nu-propriétaire comme pour l’usufruitier, qui est la plus communément admise. C’est aussi cette solution qui a été entérinée par un arrêt de principe de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 27 mai 2015 (Cass.Com, 27 mai 2015 n°14-16-246).
Dette ou obligation de restituer ?
Une décision confirmée par cette même chambre le 24 mai 2016 et qui, en plus, en a conclu que parce que la dette de l’usufruitier « prenait sa source dans la loi », du fait de l’exercice des droits de l’usufruitier sous forme d’un quasi-usufruit (art 587 du code civil), elle était déductible de l’assiette de l’ISF du quasi-usufruitier (Cass.Com, 24 mai 2016 n°15-17-788). Même si la portée de cet arrêt doit être réservée aux distributions issues d’une décision collective des associés, la jurisprudence analyse la créance de restitution du nu-propriétaire comme une dette de l’usufruitier en matière d’ISF, ce qui n’est pas le cas de l’administration fiscale.
En effet, celle-ci considère que « l’obligation de restitution prévue à l’article 587 du code civil ne s’analyse pas comme une dette mais comme une obligation de restituer le bien objet du quasi-usufruit (…) Cette obligation de restitution à la charge de l’usufruitier ne prendra naissance qu’à son décès et ne constitue donc pas une dette déductible de l’assiette de son ISF. »
Il nous paraît donc probable que l’administration sera amenée à réagir sur ce point. Elle pourrait notamment être tentée de taxer la créance du nu-propriétaire à l’ISF en contrepartie…
Anticiper dans les statuts ou par convention
Par ailleurs, un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 22 juin 2016, partiellement contradictoire avec les deux autres décisions évoquées ci-dessus, est venu jeter un trouble supplémentaire sur cette question (Cass-1re civ, 22 juin 2016 n°15-19-471 et 15-19-516). Cet arrêt, portant sur un partage successoral, indique que les bénéfices mis en réserve, qui constituent l’accroissement de l’actif social, reviennent… au nu-propriétaire des parts qui doit seul bénéficier des fonds provenant de leur distribution ! Une décision qui suscite plusieurs interrogations et qui « oblige » à trouver une solution pour se prémunir d’une telle situation.
Car si les trois décisions présentent des similitudes en ce qu’elles consacrent le principe de capitalisation des réserves, la solution consacrée par la chambre civile diverge en ne reconnaissant aucun droit à l’usufruitier sur les distributions de réserves, pourtant constituées par l’affectation du bénéfice annuel de la société revenant de droit à l’usufruitier.
Ainsi, il est conseillé de prévoir dans les statuts (ou par convention par acte authentique ou sous-seing privé enregistré, au plus tard avant l’assemblée générale décidant de la distribution des résultats, comment seront traitées ces réserves au moment de leur distribution : attribution au seul usufruitier, partage des sommes ou quasi-usufruit.
Le bénéfice social n’appartient ni à l’usufruitier ni au nu-propriétaire tant qu’il n’a pas été affecté par l’assemblée générale de la société et le droit de vote appartient à l’usufruitier pour les décisions relatives à l’affectation des résultats de l’exercice.