
1/ Les décisions du Tribunal de Montreuil du 16/07/2019 (N° 1706787, 1812220,1811931,1811897) illustrent la difficulté de la recherche des intentions du législateur pour démontrer une fraude à la loi. L’éclairage de cette jurisprudence ne pose-t-il pas la question de la sécurité juridique des contribuables qui réaliseront des actes isolés, conforme au texte fiscal qui les régit, au regard du risque d’abus de droit ?
La mise en évidence d’un abus de droit par fraude à la loi implique la réunion de deux éléments : un élément objectif, à savoir l’utilisation d’un texte à l’encontre des intentions de son auteur, et un élément subjectif, à savoir la volonté exclusive (abus de droit classique), ou principale (dans le nouveau texte) d’éluder l’impôt.
Autrement dit, si l’intention du législateur est considérée comme respectée, l’administration fiscale ne peut remettre en cause une opération sur le terrain de l’abus de droit classique (art. L 64 du LPF) ou du « mini abus de droit » (nouvel article L 64 A du LPF).
La sécurisation fiscale des opérations optimisantes nécessite donc de s’assurer de leur conformité à l’intention du législateur.
Démontrer l’intention du législateur en instaurant un régime fiscal particulier n’est toutefois pas chose aisée, puisque cette intention n’est pas toujours clairement exprimée et que sa recherche conduit le plus souvent à devoir examiner la documentation ayant accompagné l’adoption du texte (présentation du projet loi, des amendements, rapport des commissions parlementaires, comptes rendus des débats …) dans l’espoir d’y trouver la motivation du texte.
2/La procédure d’abus de droit (droit commun et mini abus de droit) n’est pas applicable lorsque le contribuable a formé un rescrit resté sans réponse dans un délai de 6 mois à compter de la demande. Cette procédure de rescrit peut-elle être source de sécurité juridique pour les contribuables ?
Incontestablement, cette procédure de rescrit, enfermée dans un délai de réponse impératif (sans doute un peu trop long), est de nature à renforcer la sécurité fiscale des opérations. Rappelons toutefois que la portée d’un rescrit favorable est limitée puisque la décision ne peut être opposée à l’administration que par le contribuable qui l’a sollicitée, dans le contexte qu’il a décrit (d’où une importance accrue à donner à la rédaction de la demande de rescrit).
La sécurité fiscale induite par le rescrit pourrait néanmoins être obtenue au prix d’une restriction de la liberté juridique du contribuable. On peut en effet craindre que l’administration se montre très restrictive sur les schémas validés, ne laissant in fine au contribuable qui l’aura consultée d’autre choix que de se soumettre à sa décision ou d’engager une procédure contentieuse de recours pour excès de pouvoir devant le Tribunal administratif (procédure longue, non compatible avec le temps de la vie des affaires).
3/ Pensez-vous que la constitutionnalité du dispositif de mini abus de droit, qui sera applicable aux actes passés à compter du 01/01/2020, puisse être remise en cause par la voie d’une question prioritaire de constitutionnalité ?
L’article L 64 A du LPF constitue un simple texte d’assiette auquel aucune procédure ni sanction spécifique n’est attachée exceptée les sanctions de droit commun, ceci afin de contourner les motifs pour lesquels le Conseil constitutionnel avait censuré le 29 décembre 2013 une première tentative d’étendre l’abus de droit (art. L 64 du LPF) aux actes à but principalement fiscal.
On peut toutefois se demander dans quelle mesure ce nouveau dispositif est régulier. Les sanctions de droit commun (majoration de 40 % ou 80 % en cas de manœuvres frauduleuses) sont, en effet, semblables à celles sanctionnant l’abus de droit « classique » et devraient être automatiquement applicables en cas d’opération à but principalement fiscal.
Par ailleurs, les dispositions qui viennent d’entrer en vigueur interrogent quant à leur définition (comment déterminer les objectifs principaux d’une opération ? comment faire la balance entre un avantage fiscal qui peut se quantifier et des effets civils et patrimoniaux qui ne se quantifient pas ?) et à leur portée (une opération légitime peut-elle être réalisée selon des modalités clairement optimisantes ?) rendant leur intelligibilité incertaine, ce qui peut constituer un motif d’inconstitutionnalité.
Le Conseil constitutionnel n’a pas initialement été saisi par les parlementaires des nouvelles dispositions mais il le sera vraisemblablement dans l’avenir par le dépôt d’une question prioritaire de constitutionnalité, lorsque les premières rectifications surviendront (à partir de 2021).