Ambitieux, les objectifs de lutte contre le réchauffement climatique sont également coûteux. La transition énergétique demande des investissements que les pouvoirs publics ne peuvent assumer seuls. Dès lors, depuis quelques années, la finance s’est imposée comme vecteur de nouvelles sources de financement. Innovante, elle a développé des outils capables d’orienter les flux de capitaux vers des projets durables. Et si le bien commun y gagne, l’appétence des investisseurs pour ces produits d’investissement démontre bien leur intérêt.
Lutte contre le réchauffement climatique, développement durable : derrière ces termes génériques se cachent des besoins concrets, tels que la construction d’infrastructures, la transformation des entreprises, la préservation de la biodiversité, l’éducation des populations. Des projets économiques, environnementaux et sociaux, qui nécessiteraient entre 1 900 milliards et 9 600 milliards de dollars d’investissements annuels d’ici 2050, selon l’Environmental Impact Assessment de l’UNEP (United Nations Environmental Program).
Si les besoins sont colossaux, les moyens d’y répondre demeurent complexes. Le financement public joue un rôle évident, mais forcément insuffisant. Toutefois, un intermédiaire s’avère nécessaire entre les acteurs privés et les tenants des projets, dont la taille, la nature et la localisation varient très fortement.
Le secteur financier s’est emparé de cette problématique et endosse désormais ce rôle d’intermédiaire. Il conçoit des produits d’investissement destinés à financer des projets durables. Certains sont déjà bien installés dans le paysage, tandis que d’autres émergent, dessinant ainsi les contours d’une finance nouvelle, tournée vers l’avenir. Ce sont autant d’opportunités qui s’ouvrent pour les investisseurs, tant pour placer leurs capitaux que pour donner un sens à leur investissement.
Plébiscite pour les obligations vertes
En mai dernier, pour la première fois, un état noté AAA a émis des obligations vertes (green bonds) sur le marché. Véritable succès, l’opération a permis aux Pays-Bas de lever 6 milliards d’euros sans difficulté, la demande auprès du Trésor néerlandais ayant atteint 21 milliards d’euros.
Cette émission démontre à quel point les obligations vertes sont désormais un produit d’investissement connu, maîtrisé et apprécié.
Une obligation verte obéit au même principe qu’une obligation classique ; elle consiste à lever de la dette auprès des marchés. La différence majeure apparaît dans l’emploi des sommes empruntées. Une obligation verte s’accompagne d’un engagement de la part de l’émetteur, celui de consacrer les montants levés à financer un projet lié à la transition écologique. Un rapport sur l’utilisation des capitaux doit être publié chaque année.
À l’origine, en 2007, la Banque Européenne d’Investissement et les agences de développement sont, sans surprise, les premières à avoir recours aux emprunts verts. Elles sont rapidement suivies par les collectivités territoriales, sur un marché encore confidentiel. Les entreprises, puis les États, s’emparent, à partir de 2013, de ce nouvel outil.
Côté entreprises, des groupes internationaux du secteur énergétique, du BTP, des télécommunications ou du secteur bancaire, ont ainsi émis des obligations vertes. Côté pays, l’Europe demeure le fer de lance des émissions. La France est ainsi le deuxième émetteur mondial après la Chine et devance les Etats-Unis.
Les obligations vertes et sociales connaissent un regain de vigueur depuis le début de l’année, avec plus de 70 milliards d’euros placés, dont 80 % dédiés aux obligations vertes. Désormais, les obligations vertes en circulation dans le monde représentent 900 milliards de dollars, selon l’ONG britannique Climate BondsInitiative. Elles disposent d’un fort potentiel de croissance au regard du marché obligataire traditionnel, qui pèse 90 000 milliards de dollars.
Ce succès s’explique par la portée environnementale du financement. Le souscripteur a l’assurance de financer un projet lié à la transition écologique. Les Pays-Bas prévoient ainsi de financer, entre autres, avec leur récente levée de fonds des ouvrages de protection contre les inondations.
Déclinaisons thématiques
Gérer la transition énergétique ne saurait se cantonner au seul aspect environnemental. Les projets sociaux sont également essentiels, au point de leur dédier un véhicule de financement spécifique. Devant le succès des obligations vertes, leur principe a été décliné au travers d’obligations sociales (social bonds).
Ici, l’investisseur a l’opportunité de financer des projets tels que le retour à l’emploi, l’accès à l’eau, la santé publique, l’alphabétisation, l’amélioration de la vie des communautés… en bref, tout ce qui a trait au social. Les collectivités locales sont, à juste titre, parmi les premières intéressées par un tel outil financier. Mais les entreprises y ont aussi rapidement adhéré.
Danone a été la première société à se lancer, en levant 300 millions d’euros pour financer la recherche sur la nutrition, l’aide à une agriculture responsable et l’émancipation des populations. Encore une fois, les acteurs européens figurent parmi les plus actifs sur ce marché, mais les émissions remportent un succès croissant, auprès d’investisseurs asiatiques notamment.
La réussite des social bonds (le terme anglo-saxon est couramment employé, même en France) tient à la transparence de l’émetteur, qui doit rendre des comptes sur l’emploi des capitaux levés. Les financements envisagés sont détaillés lors de l’émission, puis l’émetteur doit ensuite informer de l’avancée des projets, au travers d’évaluations et rapports.
Avec 8,8 milliards d’euros d’encours fin 2017, le marché dessocial bondsest encore bien inférieur à celui des obligations vertes, mais poursuit sa croissance. En 2016, il plafonnait à 2,1 milliards de dollars.
Enfin, petit poucet sur le segment des obligations assorties d’objectifs, les obligations durables, ou sustainable bonds, conquièrent petit à petit les investisseurs. Il s’agit encore d’une niche, mais ces obligations destinées à financer des projets à la fois environnementaux et sociaux séduisent un public en quête d’un placement estampillé ESG (environnement, social, gouvernance). Les encours ne pesaient que 30 milliards d’euros fin 2018, mais avaient grimpé de 35 % au cours de l’année.
Le crédit à impact positif, promis à un bel avenir
Acteurs du développement durable et banques s’enthousiasment pour la dernière innovation du monde financier. Le crédit à impact positif (positive incentive loansou sustainability loansen anglais) est une solution élaborée pour encourager tant les entreprises que les établissements bancaires à financer des projets à visée durable. Avec des atouts pour séduire chacun.
Côté emprunteur, le principal avantage du crédit à impact positif est son taux. Il est indexé sur des critères environnementaux, sociaux ou de gouvernance. Ici, ce n’est pas un projet précis que l’entreprise présente pour obtenir un financement. Elle est jugée sur son respect de critères extra-financiers. Pour faire simple, meilleures sont les pratiques ESG de l’entreprise, plus la banque lui accorde un taux intéressant. Des critères extra-financiers spécifiques déterminés par la banque et l’emprunteur sont évalués. Si les objectifs sont atteints, la banque accorde un bonus à l’emprunteur, un malus dans le cas contraire. L’entreprise peut également recevoir une injonction à modifier ses pratiques.
La portée incitative d’un tel produit est importante. L’intérêt financier, au travers d’un taux variable, encourage l’entreprise à une transformation durable. L’inconvénient majeur est que seules les sociétés déjà bien avancées en matière de pratiques ESG peuvent se lancer dans un tel engagement.
Les banques, quant à elles, y voient un moyen de réduire leurs risques. L’intégration de critères extra-financiers contribue en effet à améliorer le profil de risque de l’emprunteur. La transformation des entreprises autour d’un mode de fonctionnement durable peut également s’avérer être un avantage compétitif, un gage de pérennité.
Le secteur financier a su faire preuve d’innovation en concevant des produits dédiés au financement de la transition énergétique et créateurs d’une valeur durable. Une proposition qui fait écho à un besoin réel, pour ne pas dire urgent, et qui séduit tant les entités publiques que les entreprises. Ils répondent aussi à une véritable demande de la part des investisseurs, car permettent de conjuguer rendement, sécurité et objectifs extra-financiers. La France, et plus largement l’Europe, sont à la pointe de cette finance tournée vers la construction d’un avenir commun.