Retour sur le quatrième trimestre 2019

En dépit de certains points de discorde dans les négociations commerciales entre les États-Unis et la Chine, les investisseurs habitués à ces aléas, ont fait preuve d’optimisme sur le dernier trimestre de l’année, n’hésitant pas à prendre position sur les classes d’actifs risqués. Ils ont ainsi salué (1) la bonne tenue de certains indicateurs conjoncturels, (2) le contexte de politique monétaire durablement accommodant (3) l’accalmie sur le front géopolitique.

(1) Un scénario de récession finalement écarté

Aux États-Unis, la révision à la hausse du PIB de +1,9% à +2 ,1% (en rythme annualisé) sur le troisième trimestre, les indicateurs d’activité dans l’industrie et les chiffres de créations d’emploi ont confirmé la résilience de l’économie.

En zone Euro, la croissance, bien que modeste, a surpris positivement et les chiffres relatifs au secteur manufacturier ont conforté l’idée d’une activité dont la détérioration s’atténue et dont le point bas semble avoir été atteint.

Même soulagement du côté de la Chine avec le redressement inattendu des enquêtes de confiance dans l’industrie confirmées par le rebond de la production et des ventes au détail en novembre.

Dans ce contexte, les investisseurs n’ont plus redouté de risque de contagion du ralentissement industriel au secteur des services et ont finalement écarté le risque d’entrée en récession de l’économie globale.

(2) Des politiques monétaires résolument et durablement accommodantes

Déterminée à soutenir la croissance, les Banques Centrales ont conservé le biais toujours très accommodant de leur politique monétaire. La Fed a procédé à une troisième baisse de ses taux d’intérêt directeurs de 25 points de base à un niveau compris entre 1,5% et 1,75%. Jugeant désormais ce niveau approprié à la situation économique, Jérôme Powell a toutefois envisagé de faire une « pause » dans le cycle de baisses des taux.

En zone Euro, la BCE a mis en place de nouvelles mesures de soutien aux banques et C. Largarde, nouvelle présidente de l’institution, a appelé les États européens en situation d’excédent budgétaire à investir pour soutenir la croissance et les pays membres, à renforcer leurs échanges avec les pays partenaires.

Enfin, des mouvements de baisse des taux également été initiés dans plusieurs pays émergents d’Asie (Inde, Corée, Chine…).

(3) Accalmie sur le front géopolitique

Les négociations commerciales sino-américaines ont finalement abouti, mi-décembre, à la conclusion d’un accord dit « de phase 1 », marquant avant tout la volonté des deux parties de ne plus appliquer de nouveaux droits de douane. Si les États-Unis ont maintenu ceux de 25% sur environ 250 Md$ d’importations chinoises, ils ont abaissé, de moitié, la totalité des taxes instaurées depuis 2018 (soit à 7,5% contre 15% prévus initialement sur près de 120 Md$ d’importations chinoises). En échange, Pékin s’est dit prêt à acheter pour 50 Md$ de produits agricoles, à lutter contre le vol de la propriété intellectuelle et à ouvrir son secteur financier aux entreprises américaines. D. Trump a également annoncé que les deux parties se préparaient à poursuivre les négociations de la phase 2 de l’accord.

En parallèle, l’écrasante victoire de B. Johnson, aux élections législatives britanniques est venue confirmer la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne (UE) le 31 janvier, sans pour autant écarter le spectre d’un « hard Brexit » : l’accord de libre-échange avec l’UE reste à négocier.


À suivre en 2020…

Après le revirement de la politique monétaire, le feuilleton géopolitique de la guerre commerciale sino-américaine et le débat autour d’une possible récession en 2019, la question de la valorisation des résultats des entreprises devrait revenir au centre des préoccupations des stratégistes. D’autant que le marché semble s’être accoutumé aux épisodes récurrents de tensions (Brexit, crise politique italienne, etc.) La bonne résistance des indices boursiers face au risque d’une montée des hostilités entre les Etats-Unis et l’Iran en est un bon exemple.

S’il va sans dire que le scénario d’entrée en récession a été majoritairement écarté, le niveau de croissance économique en 2020 sera déterminant pour appréhender le rythme de progression des bénéfices dans certains secteurs.

L’autre élément décisif sera celui de l’augmentation des multiples de valorisation sur les actifs cotés, à l’image de ce qui a pu survenir au cours de ces dernières années sur le non-coté. Dans ce cadre, il convient de surveiller en premier lieu les flux des investisseurs anglo-saxons qui pourraient revenir sur le marché européen dans un contexte de résolution du Brexit et d’anticipation de baisse du dollar par les investisseurs.

À côté de ces flux externes, un autre élément pourrait intervenir à ce stade du cycle boursier : le retour des opérations de fusion-acquisitions ou de fonds davantage activistes qui ont d’ailleurs commencé à se positionner sur le marché européen. Ces opérations concerneront en priorité les secteurs à la recherche d’économies d’échelle ; des entreprises pourraient être retirées de la cote étant donné le désintérêt des investisseurs à leur égard ; d’autres qui possèdent au contraire une compétence technique recherchée pourraient être des cibles d’acquisition.

Actuellement, en zone euro, les actions se traitent autour de leur moyenne historique, soit environ 14 fois les bénéfices estimés pour 2020, mais paraissent toujours bon marché, compte tenu des taux historiquement bas. Au vu des multiples élevés du Private Equity, les investisseurs seront peut-être amenés à réallouer leurs investissements vers la Bourse…

Enfin, l’autre problématique à suivre cette année concerne les incertitudes soulevées par la récente crise sanitaire en Chine. Compte tenu de l’ampleur de la réaction des autorités chinoises, de la rapidité avec laquelle les gouvernements se sont préparés à la menace, il est permis d’espérer que cette période d’incertitudes soit cette fois, plus courte que lors de l’épidémie du SRAS de 2003. Pour autant, l’absence de visibilité sur l’issue de la crise pourrait être source de volatilité au cours des prochaines semaines. Une baisse des marchés actions pourrait également inciter les investisseurs, qui sont passés à côté de la hausse de l’an dernier, à se repositionner…


Baromètre

 

 

 

 

 

La loi de Finances pour 2020 (loi n°2019-1479 du 28/12/2019) a aménagé certains dispositifs fiscaux. Nous avons sélectionné trois dispositions pouvant intéresser nos clients :

 

  • Location meublée : L’article 49 de la loi prend acte de la déclaration d’inconstitutionnalité de la condition tenant à l’inscription d’un des membres du foyer fiscal au RCS (Cons.Const 8-2-2018 n° 2017-689 QPC). Par conséquent, la qualité de loueur meublé professionnel est octroyée aux personnes remplissant les deux seules conditions cumulatives suivantes: les recettes annuelles tirées de l’activité par l’ensemble des membres du foyer fiscal sont supérieures à 23 000 € et ces recettes excèdent les revenus professionnels du foyer fiscal soumis à l’impôt sur le revenu. Cette mesure s’applique aux revenus et profits réalisées à compter du 01/01/2020. Dans la pratique, la condition tenant à l’inscription au RCS ne doit plus être respectée depuis la décision du Conseil Constitutionnel le 08/02/2018.

 

  • Report d’imposition en cas d’apport-cession : Le dispositif de report d’imposition est aménagé sur les points suivants :
    • Les modalités de réinvestissement économique de 60% du produit de cession permettant de maintenir le report d’imposition sont assouplies pour les investissements indirects réalisés au travers de véhicules d’investissement, pour les cessions de titres apportés réalisées à compter du 01/01/2020.
    • Pour les transmissions de titres reçus en contrepartie de l’apport, par voie de donation ou de don manuel, réalisées à compter du 01/01/2020, le délai minimal de conservation des titres par les donataires, nécessaire au maintien du report d’imposition, est porté de 18 mois à 5 ans dans le cas général et à 10 ans lorsque la société bénéficiaire de l’apport réinvestit le prix de cession des titres apportés au travers de véhicules d’investissement.

 

  • Contrôle fiscal : La loi de finances pour 2020 autorise l’administration et la douane, à titre expérimental pour une durée de trois ans, à collecter et exploiter, au moyen de traitements informatisés n’utilisant aucun système de reconnaissance faciale, les données rendues publiques par les utilisateurs de réseaux sociaux et des plateformes de mise en relation par voie électronique afin de détecter les comportements frauduleux. Ces dispositions sont applicables à compter du 01/01/2020. Selon la censure partielle du Conseil Constitutionnel, une évaluation devra être réalisée à l’issue de l’expérimentation.

RENCONTRE AVEC Renaud Fornier de Savignac – Avocat associé – Directeur du département fiscal du cabinet FIDAL pour l’Aquitaine Membre du conseil d’administration de l’IACF

1/ Les décisions du Tribunal de Montreuil du 16/07/2019 (N° 1706787, 1812220,1811931,1811897) illustrent la difficulté de la recherche des intentions du législateur pour démontrer une fraude à la loi. L’éclairage de cette jurisprudence ne pose-t-il pas la question de la sécurité juridique des contribuables qui réaliseront des actes isolés, conforme au texte fiscal qui les régit, au regard du risque d’abus de droit ?

 La mise en évidence d’un abus de droit par fraude à la loi implique la réunion de deux éléments : un élément objectif, à savoir l’utilisation d’un texte à l’encontre des intentions de son auteur, et un élément subjectif, à savoir la volonté exclusive (abus de droit classique), ou principale (dans le nouveau texte) d’éluder l’impôt.

Autrement dit, si l’intention du législateur est considérée comme respectée, l’administration fiscale ne peut remettre en cause une opération sur le terrain de l’abus de droit classique (art. L 64 du LPF) ou du « mini abus de droit » (nouvel article L 64 A du LPF).

La sécurisation fiscale des opérations optimisantes nécessite donc de s’assurer de leur conformité à l’intention du législateur.

Démontrer l’intention du législateur en instaurant un régime fiscal particulier n’est toutefois pas chose aisée, puisque cette intention n’est pas toujours clairement exprimée et que sa recherche conduit le plus souvent à devoir examiner la documentation ayant accompagné l’adoption du texte (présentation du projet loi, des amendements, rapport des commissions parlementaires, comptes rendus des débats …) dans l’espoir d’y trouver la motivation du texte.

 

 

2/La procédure d’abus de droit (droit commun et mini abus de droit) n’est pas applicable lorsque le contribuable a formé un rescrit resté sans réponse dans un délai de 6 mois à compter de la demande. Cette procédure de rescrit peut-elle être source de sécurité juridique pour les contribuables ?

Incontestablement, cette procédure de rescrit, enfermée dans un délai de réponse impératif (sans doute un peu trop long), est de nature à renforcer la sécurité fiscale des opérations. Rappelons toutefois que la portée d’un rescrit favorable est limitée puisque la décision ne peut être opposée à l’administration que par le contribuable qui l’a sollicitée, dans le contexte qu’il a décrit (d’où une importance accrue à donner à la rédaction de la demande de rescrit).

La sécurité fiscale induite par le rescrit pourrait néanmoins être obtenue au prix d’une restriction de la liberté juridique du contribuable. On peut en effet craindre que l’administration se montre très restrictive sur les schémas validés, ne laissant in fine au contribuable qui l’aura consultée d’autre choix que de se soumettre à sa décision ou d’engager une procédure contentieuse de recours pour excès de pouvoir devant le Tribunal administratif (procédure longue, non compatible avec le temps de la vie des affaires).

 

 

3/ Pensez-vous que la constitutionnalité du dispositif de mini abus de droit, qui sera applicable aux actes passés à compter du 01/01/2020, puisse être remise en cause par la voie d’une question prioritaire de constitutionnalité ?

L’article L 64 A du LPF constitue un simple texte d’assiette auquel aucune procédure ni sanction spécifique n’est attachée exceptée les sanctions de droit commun, ceci afin de contourner les motifs pour lesquels le Conseil constitutionnel avait censuré le 29 décembre 2013 une première tentative d’étendre l’abus de droit (art. L 64 du LPF) aux actes à but principalement fiscal.

On peut toutefois se demander dans quelle mesure ce nouveau dispositif est régulier. Les sanctions de droit commun (majoration de 40 % ou 80 % en cas de manœuvres frauduleuses) sont, en effet, semblables à celles sanctionnant l’abus de droit « classique » et devraient être automatiquement applicables en cas d’opération à but principalement fiscal.

Par ailleurs, les dispositions qui viennent d’entrer en vigueur interrogent quant à leur définition (comment déterminer les objectifs principaux d’une opération ? comment faire la balance entre un avantage fiscal qui peut se quantifier et des effets civils et patrimoniaux qui ne se quantifient pas ?) et à leur portée (une opération légitime peut-elle être réalisée selon des modalités clairement optimisantes ?) rendant leur intelligibilité incertaine, ce qui peut constituer un motif d’inconstitutionnalité.

Le Conseil constitutionnel n’a pas initialement été saisi par les parlementaires des nouvelles dispositions mais il le sera vraisemblablement dans l’avenir par le dépôt d’une question prioritaire de constitutionnalité, lorsque les premières rectifications surviendront (à partir de 2021).


Analyse comparative des procédures d’abus de droit

Si la répression des abus de droit constituait jusqu’alors un instrument de lutte contre les opérations de fraude à la loi présentant un caractère exclusivement fiscal, le « mini abus de droit » institué par la loi de finances pour 2019 pourrait constituer un instrument de lutte contre les pratiques des contribuables simplement astucieux.

 

Rappel sur l’abus de droit fiscal classique

 La procédure d’abus de droit fiscal (art L64 du LPF) permet à l’administration d’écarter des actes comme s’ils n’avaient jamais existé, entraînant la perte d’un régime préférentiel d’imposition ou le bénéfice d’un taux réduit, ou encore la réintégration de charges dont la déductibilité est contestée et, par voie de conséquence, le rehaussement de l’impôt dû.

 

Cette procédure d’abus de droit n’est susceptible d’écarter que deux typologies d’actes :

  • Les actes fictifs, constitutifs d’un abus de droit par simulation. Sont ici visés les cas d’habillages juridiques ne reflétant pas la réalité d’une situation, comme la donation déguisée sous l’apparence d’une vente afin d’éluder les droits de donation, ou la location fictive d’un immeuble visant à déduire des dépenses de travaux.
  • Et les actes constitutifs de fraude à la loi par une application littérale de la loi fiscale contraire à l’intention du législateur (critère objectif) et la poursuite d’un but exclusivement fiscal (critère subjectif).

Dans ce dernier cas, le critère du but exclusivement fiscal constitue une garantie protégeant le contribuable. En effet, au-delà de l’aspect fiscal, une opération peut être justifiée par des objectifs de transmission patrimoniale, de réorganisation économique et financière ou encore pour acter une évolution de rapports juridiques et/ou contractuels.

En cas de désaccord entre l’administration et le contribuable sur les rectifications notifiées, le litige peut être soumis à l’avis du comité d’abus de droit fiscal (CADF) à l’initiative soit de l’administration, soit du contribuable.

Lorsque l’abus de droit est constitué, celui-ci est sanctionné par l’application d’une majoration automatique correspondant à 80% des droits rappelés, ramenée à 40% dans le cas où le contribuable n’a pas été à l’initiative du montage incriminé ou n’est pas le principal bénéficiaire (art.1729 b du CGI).

Le nouveau « mini abus de droit fiscal »

Cette nouvelle procédure, issue de la loi de finances pour 2019 (loi n°2018-1317 du 28/12/2018) offre à l’administration fiscale, une mesure alternative de redressement pour les actes passés ou réalisés à compter du 01/01/2020 et les rectifications notifiées à compter du 01/01/2021.

Codifié à l’article L64 A du LPF, le mini abus de droit vise l’existence de montages constitutifs de fraude à la loi par une application littérale de la loi fiscale contraire à l’intention du législateur (critère objectif) et ayant un but principalement fiscal (critère subjectif).  Cette procédure n’est pas automatiquement assortie de la majoration forfaitaire de 80% des droits rappelés, mais l’application des majorations de droit commun sera possible, sous condition de démonstration étayée par l’administration fiscale dans la proposition de rectification (CGI art 1729 a et c, majoration de 80% pour manœuvre frauduleuse ou 40% en cas de manquement délibéré).

Tout comme dans le cadre de la procédure de droit commun, l’administration ou le contribuable pourra se prévaloir de l’avis du CADF avec une nouvelle garantie, issue de l’art 102 de la loi de finances pour 2019, qui impose à l’administration la charge de la preuve, quel que soit l’avis rendu par le comité. Précédemment, en cas d’avis du CADF défavorable au contribuable, la charge de la preuve lui incombait auprès du juge de l’impôt.

Enfin, de la même manière que pour l’abus de droit à but exclusivement fiscal, le contribuable peut se prévaloir de la procédure de rescrit prévue à l’article L64 B du CGI. Dans ce cas, si préalablement à la conclusion d’un acte, le contribuable consulte l’administration (DGFIP) en soumettant tous les éléments utiles pour apprécier la portée véritable de l’opération, et que l’administration n’a pas répondu dans un délai de 6 mois, la procédure d’abus de droit ne sera pas applicable.

Ce nouveau cas de fraude à la loi à but principalement fiscal vise les mêmes impôts que l’abus de droit classique, à l’exception de l’impôt sur les sociétés, visé par l’art 205 du CGI (issu de la même loi).

En ce qui concerne les opérations pouvant entrer dans le champ de l’art L 64 A, le gouvernement a rassuré les conseils en excluant la technique du démembrement de propriété utilisée dans le cadre de transmissions anticipées du patrimoine (Communiqué de presse de Bercy du 19/01/2019 n°568 ; RM Procaccia, JO Sénat 13 juin 2019, n°09965 et RM Degois, JOAN 18 juin 2019, n°16264). Mais cette analyse rassurante ne semble concerner que la recherche par le redevable, à travers la donation démembrée, d’un avantage au regard des droits de mutation à titre gratuit. Quid en revanche si l’objectif de la donation avec réserve d’usufruit est de réduire les plus-values dans le cadre d’une opération de donation-cession ? La technique de la donation d’usufruit temporaire au profit d’un enfant majeur, ou d’un organisme à but non lucratif, a également été prise en exemple dans les commentaires de l’administration parus le 31/01/2020 au BOFIP (Bulletin Officiel des Finances Publiques-Impôt : BOI-CF-IOR- N°120) sous condition d’une substance patrimoniale effective et de l’absence de clauses manifestement abusives (donation librement révocable).

Malheureusement, ces commentaires ne sont pas très précis et révèlent l’absence de volonté de l’administration de prendre une position générale sur les schémas motivés principalement par un but fiscal. L’administration se contente de préciser que « la notion de motif principal est plus large que la notion de but exclusivement fiscal » et que « la procédure d’abus de droit de l’art L 64 A du LPF ne sera pas applicable aux actes dont le but essentiel est l’obtention d’un avantage fiscal sans aller à l’encontre de l’objet ou de la finalité du droit fiscal applicable ».  L’administration renvoie même aux commentaires de la clause anti-abus générale de l’article 205 du CGI, parus le 3/07/2019, pour étendre leur champ d’application aux autres impôts.

 

La clause anti abus générale de l’article 205 du CGI

La mise en œuvre de cette clause, applicable en matière d’impôt sur les sociétés pour les exercices ouverts à compter du 01/01/2019, nécessite la réunion de deux conditions :

  • Le montage, ou la série de montages, est mis en place avec pour objectif principal l’obtention d’un avantage fiscal allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité du droit fiscal applicable ;
  • Et le montage, ou la série de montages, n’est pas considéré comme authentique, ce qui signifie qu’il n’a pas de justification économique.

Dans le cadre de ses commentaires concernant ce dispositif parus au BOFIP le 3/07/2019 (BOI-IS-BASE-70-20190703) l’administration a précisé que:

  • Pour apprécier l’objectif principalement fiscal, il faudra notamment tenir compte de l’évaluation de l’avantage fiscal qui serait obtenu à l’encontre de la finalité du régime en proportion de l’ensemble des gains ou avantages de toute nature obtenu au moyen du montage considéré. Ainsi un montage peut entrer dans le champ d’application de la clause anti-abus même s’il poursuit plusieurs objectifs concurrents.
  • Un montage n’est pas authentique s’il n’est pas effectué pour des motifs commerciaux valables qui reflètent la réalité économique, cette notion ne devant pas être restreinte à l’exercice d’une activité commerciale. Ainsi, des structures de détention patrimoniales, ayant des activités financières ou qui répondent à un objectif organisationnel, peuvent être considérées comme répondant à des motifs commerciaux valables. En revanche, l’administration n’apporte pas d’explication sur les modalités pratiques de l’évaluation de l’avantage économique par rapport à l’avantage fiscal. Celle-ci peut en effet s’avérer délicate à réaliser, notamment en présence d’une structure constituée pour répondre à un objectif organisationnel.
  • La procédure traditionnelle de répression des abus de droit étant susceptible de concerner l’impôt sur les sociétés, elle coexistera avec le dispositif anti-abus. Les deux dispositifs seront d’application exclusive. Ainsi, en présence d’actes fictifs ou de montages réalisés dans un but exclusivement fiscal, l’administration sera tenue d’engager la procédure d’abus de droit alors qu’en présence de montages non authentiques poursuivant un objectif principalement fiscal, elle devra en écarter les conséquences sur le fondement de l’art 205 du CGI ;
  • S’agissant de la procédure de mini abus de droit, l’administration précise qu’elle concernera tous les impôts à l’exception de l’impôt sur les sociétés. Les poursuites en matière d’impôt sur les sociétés, sur un fondement principalement fiscal, ne pourront donc se faire que dans le cadre de l’art 205 du CGI. Par cette exclusion, l’administration fiscale considère cependant que les entreprises ne pourront pas saisir le CADF dans ce cas. Ceci pose un problème de constitutionnalité au regard du principe d’égalité devant la loi.

À la lecture de ces commentaires de la clause anti-abus de l’art 205 du CGI, dont le champ d’application est étendu à l’ensemble des impôts par le renvoi des commentaires de l’art L 64 A du LPF, force est de constater que l’administration a entendu se réserver une large marge d’appréciation par une analyse au cas par cas, ce qui fait craindre une vraie insécurité juridique, et potentiellement une application différenciée du droit sur le territoire national, selon la sensibilité du juge concerné sur le caractère essentiel ou non de l’objectif fiscal.

Par ailleurs, la question de la constitutionnalité de la procédure de mini abus de droit demeure incertaine, faute d’avoir figuré parmi les dispositions de la loi de finances pour 2019 soumises au Conseil Constitutionnel. Cette nouvelle disposition tire de prime abord les leçons de la précédente censure constitutionnelle (Cons-Const 29/12/2013 n°2013-685 DC) en prévoyant expressément que ce cas d’abus de droit ne serait pas automatiquement assorti d’une majoration forfaitaire de 80% des droits rappelés. Est-ce pour autant suffisant pour satisfaire l’ensemble des griefs soulevés par le Conseil Constitutionnel dans sa décision précitée ? Rien n’est moins sûr si l’on s’attache à la première série de critiques formulées concernant l’insuffisance de la rédaction, qui permet une importante marge d’appréciation à l’administration.  Ce dispositif pourrait faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) une fois que l’administration fiscale initiera les premiers rehaussements d’imposition sur son fondement. Ce ne sera qu’à l’issue de cette procédure que les dispositions concernant la procédure de mini abus de droit seront définitivement validées ou censurées.

Les commentaires de l’administration sont néanmoins rassurant sur un point (BOI-CF-IOR n°1) dans la mesure où ils confirment que le recours par le contribuable à la solution fiscale la moins onéreuse n’est pas susceptible de constituer valablement un abus de droit, quelle que soit la procédure visée (L 64 ou L 64 A du LPF).

Comment dès lors concilier, d’une part cette validité du recours à une solution fiscalement non pénalisante, tout en menaçant d’autre part de sanctionner les actes poursuivant un objectif principalement fiscal ? C’est à ce travail d’équilibriste que les contribuables et leurs conseils devront se prêter d’ici à ce que le législateur précise ce dispositif ou qu’il soit contraint par le juge constitutionnel de l’abroger.

Dans cette attente, il conviendra d’être prudent et de documenter les motivations autres que fiscales des schémas patrimoniaux.


Apport avec soulte et abus de droit

 

 

 

 

 

 

Par quatre jugements en date du 16 juillet 2019, le tribunal administratif de Montreuil est la première juridiction à s’être prononcée sur la mise en œuvre de la procédure d’abus de droit fiscal prévue à l’article L 64 du LPF, dans le cadre d’opérations d’échanges de titres assorties du versement d’une soulte. Des décisions qui illustrent la difficulté de la recherche des intentions du législateur pour démontrer une fraude à la loi.


Rappel des faits :

L’administration a reproché au fondateur d’une société familiale d’avoir, à l’occasion de l’apport des titres de cette société, réalisé conjointement par lui, son épouse (second mariage) et ses enfants, stipulé le versement d’une soulte par chacune des deux holdings bénéficiaires des apports. Elle a estimé que parce qu’elles n’étaient pas nécessaires à la réalisation des apports, ces soultes étaient de pure convenance et constituaient en réalité le moyen pour les apporteurs de s’approprier en franchise d’impôt une partie des fonds sociaux des sociétés nouvellement créées. S’en est suivi le rehaussement des bases d’imposition sur le fondement de l’abus de droit.

À l’époque des faits, en décembre 2010, les opérations d’échanges de titres de sociétés, assujetties à l’impôt sur les sociétés, bénéficiaient d’un sursis d’imposition, en vertu de l’art 150-0 B du GCI. Dans l’hypothèse où une soulte était stipulée dans l’acte d’apport, à condition que le montant de celle-ci n’excède pas 10% de la valeur nominale des titres reçus, elle bénéficiait également du régime de sursis d’imposition.

Dans le cas d’espèce, la soulte perçue par les apporteurs n’excédait pas 10% de la valeur nominale des titres reçus dans chacune des deux sociétés civiles bénéficiaires des apports.

 

La décision du Comité d’Abus de Droit Fiscal (CADF ): avis n°2016-20

Le comité rend un avis défavorable aux contribuables, en concluant que le versement des soultes ne s’inscrit pas dans le respect du but poursuivi par le législateur, à défaut de justifier que les sociétés bénéficiaires des apports avaient un intérêt économique au versement de cette soulte, à savoir qu’elles n’auraient pu effectivement bénéficier des apports sans ce versement.

Saisi à de nombreuses reprises dans le cadre de contrôles fiscaux relatifs aux opérations de restructurations accompagnées du versement d’une soulte, le CADF s’est prononcé systématiquement en faveur de la mise en œuvre de la procédure d’abus de droit. D’une manière générale, il considère que le versement de la soulte doit s’inscrire dans le respect du but poursuivi par le législateur, à savoir favoriser les restructurations d’entreprises en vue de faciliter leur développement.

Sur ce point, nous précisons que, par la suite, le législateur a exclu la soulte, d’un montant inférieur à 10% de la valeur nominale des titres reçus, du sursis et du report d’imposition dans la cadre de la loi de finances pour 2016 (n°2016-1918 du 25/12/2016). Les articles 150-0 B (sursis d’imposition) et 150-0 B ter (report d’imposition) du CGI prévoient ainsi, pour les opérations réalisées à compter du 01/01/2017, l’imposition immédiate de la plus-value d’apport à hauteur du montant de la soulte.

Enfin, l’échange de titres avec soulte bénéficiant du traitement fiscal des articles 150-0 B et 150-0 B Ter du CGI figure, depuis avril 2015, dans la liste des montages abusifs publiée par le Direction Générale des Finances publiques sur le portail internet du ministère de l’économie (impots.gouv.fr, carte des pratiques et montages abusifs).  Ces fiches reprennent les schémas fiscaux que l’administration considère comme critiquables et pour lesquels elle se réserve en conséquence le droit de redresser en cas de contrôle.

 

La décision du TA de Montreuil :

TA de Montreuil 16-7-2019 N° 1706787, 1812220, 1811931, 1811897

Il ressort des faits que, dans un contexte de transmission et d’administration du groupe, il a été décidé par le fondateur une réorganisation de la détention des actions de la société en deux pôles : un pôle décisionnel constitué par le fondateur et ses enfants, détenant la quasi-totalité de la société (90%) au travers d’une société holding constituée par apport de leurs titres, et un pôle constitué par le fondateur et son épouse, au travers d’une autre société holding.

Le tribunal a retenu une qualification différenciée de la soulte selon la qualité des apporteurs.

Ainsi, le tribunal considère que la soulte versée en contrepartie des apports réalisés par les enfants, ne visait pas exclusivement à éluder l’impôt mais était nécessaire à l’opération de restructuration, en tant que mesure incitative à l’adhésion à la nouvelle organisation du groupe. En effet, afin de conserver le caractère familial du groupe, les apporteurs devaient accepter de renoncer à la liberté de négociation des titres dont ils jouissaient dans le cadre du schéma organisationnel initial. Dans ce cas, selon le tribunal, la soulte n’est pas constitutive d’un abus de droit.

À l’inverse, le tribunal considère que la soulte versée au fondateur du groupe n’était manifestement pas nécessaire à sa propre adhésion à l’opération de restructuration, dans la mesure où il en avait eu seul l’initiative. Ainsi, celui-ci voit sa soulte taxée dans la catégorie des revenus distribués, assortie de la pénalité de 80%.

Le tribunal de Montreuil a donc recherché l’utilité de la soulte en tant que mesure incitative à la réalisation des apports, pour déterminer si elle était constitutive d’une fraude à la loi par une application littérale de la loi fiscale contraire à l’intention du législateur et par la poursuite d’un but exclusivement fiscal.

Le problème est que ni la loi qui a créé le régime de sursis d’imposition automatique (CGI art 150-0 B), ni les travaux parlementaires (exposés des motifs de l‘article 94 de la loi de finances pour 2000 n°99-1172 du 30/12/1999) ne définissent la soulte et ne précisent ses conditions de validité.

Pour fonder sa décision, le tribunal a recherché l’intention du législateur dans les éléments relatifs à la limitation du montant d’une soulte (dispositions issus de l’art 32 de la loi n°2016—1918 du 29/12/2016) mais étranger à sa finalité et postérieurs à l’adoption du texte de l’art 94 de la loi de finances pour 2000. Ces objectifs seraient ainsi de faciliter les opérations de restructuration en évitant l’évasion fiscale.

Or le dispositif de sursis d’imposition en cause est issu de la modification d’un régime créé en 1991 (report optionnel) qui s’inscrivait dans le cadre de la transposition de la directive 90/434/CEE du 23/07/1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’Etats membres différents. Selon cette directive, également applicable aux opérations internes, l’échange d’actions, dispensé d’imposition, permettait que soit prévu le versement d’une soulte en espèces ne dépassant pas 10% de la valeur nominale des titres remis à l’échange, sans condition particulière.

Ainsi les inspirateurs de la directive 90/434 n’ont jamais voulu que le régime de faveur des soultes ne soit conditionné par des motivations économiques ou financières. De même, l’intention du législateur ayant conduit à la transposition en droit français des directives relatives aux apports en société ne contient aucun élément susceptible d’être exploité pour justifier l’abus de droit.


Les enseignements de cette jurisprudence :

 Dans le cas présent, le tribunal n’a pas considéré la justification économique de l’opération d’apport dans son ensemble, mais le versement de la soulte pris isolément, qui devait être justifié pour faire échec à un abus de droit.

Or, l’opération d’apport avec soulte n’est pas l’addition d’un apport et d’une soulte, qui pourraient faire l’objet d’une analyse et d’une critique indépendante, mais une opération globale qui doit être appréhendée comme telle. Dès lors que cette opération résulte de la loi, elle ne devrait pas être constitutive d’un abus de droit, si elle respecte l’esprit du législateur.

Dans le cas d’espèce, ni la loi (art 94 de la loi de finances pour 2000 n°99-1172 du 30/12/1999), ni les travaux parlementaires qui ont conduit à l’adoption du régime du sursis d’imposition, ni ceux qui ont conduit à la transposition en droit français de la directive 90/434/CEE du 23/07/1990, ne contiennent d’éléments susceptibles d’être exploités pour justifier l’abus de droit.

L’apport avec soulte est un apport et la soulte n’en est qu’une modalité indissociable. Que le juge puisse s’affranchir de la nécessité de démontrer la contrariété de l’apport avec soulte avec l’intention du législateur est une grave erreur de droit que le Conseil d’Etat ne pourra que sanctionner.

Sauf à considérer que le juge de l’impôt partage désormais avec le parlement la compétence législative pour combler les interstices de la loi, le Conseil d’Etat ne pourra, en dernier ressort, que réformer la décision des juges d’appel s’ils devaient adopter les motifs des juges de première instance.

Ainsi, même si la jurisprudence du Conseil d’État devrait à terme restaurer la justice fiscale, ces décisions du tribunal de Montreuil illustrent la difficulté à rechercher l’intention du législateur. Elles peuvent faire craindre pour la sécurité juridique de l’ensemble des régimes de faveur qui ont pu être adoptés par le législateur sans conditions autres que celles figurant expressément dans les textes.


Édito Février 2020

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En matière fiscale, l’administration dispose de la possibilité de contester des opérations dans le cadre de la procédure d’abus de droit.

Jusqu’à l’adoption de la loi de finances pour 2019, la procédure de droit commun[1] avait pour fondement soit la fictivité d’une opération, soit un montage réalisé dans un but exclusif d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales, en recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs.  Toute démonstration par le contribuable que ces actes poursuivaient également une autre finalité excluait donc que l’administration puisse fonder son redressement sur le terrain de l’abus de droit. C’est l’impératif de sécurité juridique qui justifiait cette ligne très ferme, exigée par la jurisprudence du Conseil d’Etat.

Puis progressivement, essentiellement sous l’effet de la réglementation européenne, les dispositifs anti- abus se sont multipliés dans notre législation, permettant à l’administration de ne pas tenir compte d’actes à visée principalement fiscale : clause anti-abus du régime mère-fille[2], clause anti-abus de régime spécial de fusion[3] et clause anti-abus prévue par la convention multilatérale de l’OCDE[4].

Enfin, après une première tentative de la loi de finances pour 2014, de modifier le texte en introduisant un « motif principal » visant à éluder ou à atténuer l’impôt, censurée par le Conseil Constitutionnel[5], la loi de finances pour 2019 généralise le pouvoir reconnu à l’administration d’écarter des actes à but principalement fiscal, sans assortir la procédure de pénalité automatique pour éviter une nouvelle censure .

Sous l’impulsion de la Directive européenne ATAD du 12/07/2016[6], la loi de finances pour 2019[7] a conduit à la rédaction d’une nouvelle procédure d’abus de droit[8], distincte de la procédure existante, pour étendre la lutte contre les pratiques à but principalement fiscal à l’ensemble des impositions. Cette nouvelle procédure dite de « mini abus de droit », s’appliquera aux actes passés à compter du 01/01/2020 et notifiés à compter du 01/01/2021.

Dans ce contexte, à compter du 1er janvier 2020, il conviendra d’analyser le bien-fondé des stratégies patrimoniales avant toute mise en œuvre. L’équipe de la Banque Privée est à la disposition de ses clients pour les accompagner dans cette démarche.

 

[1] Procédure de droit commun codifiée à l’article L 64 du LPF (livre des procédures fiscales)
[2] Régime mère fille : CGI art 119 ter 3
[3] Régime spécial de fusion : CGI art 210-0 A
[4] Clause anti-abus de la convention multilatérale OCDE : IMF/OECD mars 2017.
[5] Décision du Conseil Constitutionnel du 29/12/2013 n°2013-685 DC
[6] Directive ATAD N°UE/2016/1164
[7] Loi de Finances pour 2019 : loi n°2018-1317 du 28/12/2018
[8] Art 205 du CGI applicable en matière d’impôt sur les sociétés et art L64 A du LPF applicable aux autres impositions.