
Le succès de l’assurance vie, qui compte toujours parmi les placements préférés des Français, ne doit pas occulter une réalité complexe. Dans un environnement réglementaire et financier de plus en plus contraignant pour les assureurs, le modèle de l’assurance vie, et tout particulièrement celui des fonds en euros, ne peut échapper à une réflexion d’ampleur, prémisse à de nécessaires transformations.
Avec près de 1.800 milliards d’euros d’encours juste avant le début de la crise sanitaire, l’assurance vie confirme, une fois encore, son rang de premier support d’épargne des Français. Un succès largement imputable aux fonds en euros, qui comptent pour 70 % des encours totaux de l’assurance vie, estime le cabinet Pwc. Cette affection s’explique par les protections apportées par les fonds euros : ils bénéficient d’une garantie du capital et des intérêts, ainsi que d’une revalorisation annuelle minimale de l’épargne.
Afin d’apporter de telles garanties, les primes versées sur les fonds euros sont dirigées vers des placements sécurisés, c’est-à-dire vers des obligations d’État, essentiellement françaises. Problème, ces obligations souveraines ont un rendement plus que faible. L’OAT française (Obligation Assimilable du Trésor) à 10 ans affichait ainsi un taux de -0.10 % le 17 juin dernier. La sécurité ne vient pas sans concession et le rendement est donc sacrifié.
Les chiffres ne sont guère meilleurs si l’on se tourne vers les autres Etats considérés comme bien notés. Le Bund allemand à 10 ans est ainsi en territoire négatif, avec un rendement de – 0,44 %. Les souscriptions massives de la BCE aux émissions obligataires souveraines contribuent en effet à maintenir les taux sur ces seuils planchers, dans un objectif de favoriser les États émetteurs.
Tout comme les investisseurs, des assureurs pénalisés
La baisse des taux d’intérêt est loin d’être indolore pour les assureurs. Tenus de servir un rendement garanti aux investisseurs en fonds euros, ils voient pourtant leur stock d’obligations anciennes, mieux rémunérées, arriver à terme. Ils sont donc contraints de souscrire de nouvelles obligations, moins rémunératrices.
Dans le même temps, les assureurs demeurent soumis aux strictes exigences du régime prudentiel Solvabilité 2, qui affectent leur bilan. Ils ont en effet pour obligation d’ajuster leurs fonds propres en fonction des niveaux d’épargne confiés par leurs clients et de disposer d’un capital minimum. Ils déterminent ainsi leur ratio de solvabilité. Or les fonds en euros requièrent d’importants niveaux de fonds propres, afin d’être en mesure d’honorer les engagements de garantie du capital. Dans ce contexte de taux bas, les montants immobilisés ont un rendement très faible, voire même négatif, et les assureurs voient leur ratio de solvabilité se détériorer.
Le 4 décembre dernier, Bernard Delas, vice-président de l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) déclarait : « Au cours des deux derniers trimestres, le ratio moyen de couverture du capital requis est passé de 240 % au 31 décembre 2018 à 214 % au 30 septembre 2019, soit une baisse de 26 points. La baisse enregistrée est logiquement plus forte en assurance vie, où elle est de l’ordre de 30 points, qu’en assurance non-vie. »
Des solutions palliatives…
Pris en tenaille entre la baisse des taux et un cadre réglementaire strict, les assureurs sont contraints de prendre des décisions pour ne pas chuter sous le seuil critique de solvabilité. Certains ont ainsi opté pour un renforcement de leurs fonds propres grâce à des émissions d’obligations subordonnées, d’autres reçoivent des liquidités de la part de leur maison mère.
Certains acteurs se tournent également vers la réassurance, qui permet en effet de céder ses risques, et donc d’améliorer son ratio de couverture. Enfin, Bercy n’a pas été insensible à la montée d’inquiétude des assureurs et leur a concédé une bouffée d’oxygène, grâce au levier offert par les provisions pour participation aux bénéfices (PPB).
Ces PPB constituent une réserve de capital destinée à compenser l’érosion des rendements des fonds euros. Or, sous Solvabilité 2, ce capital n’est pas comptabilisé dans les fonds propres. Grâce à un arrêté datant du 24 décembre 2019, un assureur peut désormais intégrer ses PPB dans le calcul de son ratio de solvabilité, s’il a enregistré des pertes techniques sur son dernier exercice comptable et un défaut de couverture du capital requis.
… mais qui n’écartent pas les risques
Quand bien même les assureurs trouvent des solutions pour consolider leur ratio de solvabilité, tout n’est pas résolu pour autant, car un autre risque se profile.
Si la BCE réduit ses rachats obligataires, ou que l’économie repart vivement, et que les taux remontent, les investisseurs pourraient se tourner vers des placements mieux rémunérés que leurs fonds euros. La possibilité d’une vague massive de rachats de contrats n’est alors pas à exclure.
Pour honorer leurs engagements et répondre à leurs besoins de liquidités, les assureurs seraient alors contraints de vendre à perte et dans l’urgence une part de leur portefeuille obligataire. Avec un risque non négligeable de faillite pour les acteurs les plus fragiles. Il n’en fallait pas tant pour faire surgir le spectre d’une crise systémique, avec une contagion à d’autres noms de l’assurance, puis à d’autres secteurs de l’économie.
Lutter contre un scénario catastrophe
Face à des risques réels et importants, pas question pour autant de céder aux sirènes du catastrophisme. Plusieurs niveaux d’action sont possibles avant d’en arriver à de tels extrêmes.
Les assureurs, de leur côté, travaillent à adapter leur business model face à l’environnement de taux bas et cherchent à anticiper les effets d’une remontée des taux. Plus largement, le comportement de tous les acteurs, dont les investisseurs, sera une donnée déterminante de l’évolution de ce marché. Les avantages fiscaux assortis à la durée de détention des contrats d’assurance vie pourraient également convaincre les investisseurs de conserver leurs contrats.
Face à un risque systémique, les régulateurs et le législateur sont également mobilisés. La BCE maintient actuellement sa politique monétaire accommodante et, face aux besoins de financement des États, engagés dans la lutte contre la crise sanitaire et économique, elle ne devrait pas modifier sa position trop rapidement. En dernier recours, la loi Sapin 2 offre également un rempart contre les rachats massifs. Elle confère au Haut Conseil de Stabilité Financière la capacité de suspendre temporairement les rachats de contrats en cas de hausse des taux d’intérêts.
Ainsi, assureurs et investisseurs ont parfois des agendas et horizons de temps différents, mais leurs objectifs finaux convergent. Tous verraient avec satisfaction les rendements de l’assurance vie s’améliorer et la prévention d’un risque systémique est également dans leur intérêt commun.