
Luc Jaillais, avocat associé CMS Bureau Francis Lefebvre. Il est spécialisé en fiscalité directe : impôt sur les sociétés, impôt sur le revenu.
Lorsqu’une société dont les titres sont démembrés décide de distribuer ses réserves, qui est le bénéficiaire effectif de cette distribution ?
Luc Jaillais : Dans cette situation, la Cour de cassation a jugé que les sommes distribuées appartiennent au nu-propriétaire des titres qui seul a la qualité d’associé de la société. Mais que, néanmoins, les droits de l’usufruitier s’exerçaient sur ces fonds (Cass.Com 27 mai 2015 n°14-16-246 et Cass.Com 24 mai 2016 n°15-17-788).
Conformément au Code civil, c’est alors le régime du « quasi-usufruit » qui s’applique sur ces sommes d’argent : celles-ci sont mises à la libre disposition de l’usufruitier, qui est cependant tenu de restituer le même montant, au(x) nu(s)-propriétaire(s), à l’extinction de l’usufruit.
L’usufruit étant généralement stipulé pour durer la vie entière de l’usufruitier, la dette de restitution ne sera remboursable qu’au décès de l’usufruitier. Cette dette pèsera donc sur sa future succession et, préalablement, sur son patrimoine.
On notera, enfin, que par une décision de la chambre civile du 22 juin 2016 (n° 15-19471 et 15-19516), la Cour de cassation a jugé que « si l’usufruitier a droit aux bénéfices distribués, il n’a aucun droit sur les bénéfices qui ont été mis en réserve, lesquels constituent l’accroissement de l’actif social et (…) devaient bénéficier aux seuls nus-propriétaires ».
Cette décision ne contredit pas, malgré une rédaction qui peut sembler un peu maladroite, le principe dégagé par la chambre commerciale de la Cour de cassation. Au cas particulier, la chambre civile s’est contentée de répondre à la question qui lui était posée et qui portait sur la détermination de l’actif de l’indivision successorale, sans qu’il soit nécessaire de déterminer à qui doivent être remises les distributions de réserves.
Dans quelle mesure la dette sera-t-elle déductible de l’ISF de l’usufruitier, et également des futurs droits de succession ?
Luc Jaillais : Lorsque, comme c’est généralement le cas, les nus-propriétaires sont les héritiers de l’usufruitier, la dette de restitution n’est déductible de plein droit que si la situation de quasi-usufruit résulte directement de l’application de la loi. Et pas d’un arrangement familial organisé par la personne usufruitière.
En revanche, la Cour de cassation a bien confirmé que le quasi-usufruit applicable aux distributions de dividendes au profit de titres démembrés d’une société était bien d’origine strictement légale. Et ce, même si le démembrement résulte souvent de la volonté de l’usufruitier qui a donné la nue-propriété à ses enfants.
Prenons l’exemple d’une clause bénéficiaire « démembrée » d’un contrat d’assurance-vie où les bénéficiaires désignés sont le conjoint du souscripteur pour l’usufruit et les enfants du couple pour la nue-propriété. Dans quelle situation fiscale nous trouvons nous et qui perçoit les capitaux décès ?
Luc Jaillais : Dans cette situation, les capitaux décès vont être soumis au même régime de « quasi-usufruit » que celui que nous avons évoqué précédemment. Certes, la Cour de cassation n’a pas encore eu l’occasion de confirmer que le quasi-usufruit résultant d’une clause bénéficiaire démembrée était d’origine légale. Toutefois, on peut légitimement penser que c’est le cas. D’une part, parce que le démembrement est le résultat de dispositions prises par le souscripteur du contrat, qui est par hypothèse décédé. Par conséquent l’usufruitier n’est pas à l’origine de cette situation. D’autre part, parce que c’est le Code civil – et donc la loi – qui prévoit l’application automatique du régime du quasi-usufruit.
Néanmoins, dans l’attente d’une parfaite clarification par la jurisprudence, il est prudent de prendre des précautions formelles pour renforcer la déductibilité de la dette de restitution tant de l’ISF que de la succession du conjoint survivant. On pourrait ainsi songer à ce que les personnes concernées concluent une convention de quasi-usufruit soumise impérativement à la formalité de l’enregistrement avant la fin de l’année du versement des capitaux décès.