Il y a 2 années

Comprendre le pacte Dutreil combiné à une donation-partage transgénérationnelle avec soulte (family buy-out)

Focus sur

Le pacte Dutreil est devenu un outil incontournable dans les schémas de transmission d’entreprise dans un cadre familial. Son intérêt : bénéficier d’un abattement de 75% sur l’assiette taxable des titres transmis. Pour rappel, la société doit exercer une activité opérationnelle éligible (commerciale, industrielle, artisanale, libérale, agricole), à titre prépondérant, et pendant toute la durée des engagements collectifs et individuels. L’opération est cependant délicate. Il est fréquent d’être confronté à la difficulté de l’équilibrage des lots transmis aux enfants, la valeur patrimoniale de l’entreprise représentant l’essentiel du patrimoine du dirigeant.

La donation-partage transgénérationnelle, promue par la loi du 23 juin 2006, offre de nouvelles perspectives très attractives au plan civil comme au plan fiscal en matière de transmission d’entreprise. Si l’égalité entre les enfants est souhaitée, avec pour hypothèse un petit-enfant repreneur, la donation-partage transgénérationnelle sur des titres de société peut être faite avec soulte.

Optimiser les dispositifs disponibles

Dans ces conditions, le donataire alloti de l’entreprise a la charge de payer une soulte aux autres bénéficiaires de la donation. Rappelons que l’imputation se réalise par souche et non par tête. Si toutes les souches ont bien été gratifiées dans le cadre de cette libéralité, la valeur des titres transmis est gelée au jour de la donation-partage transgénérationnelle pour le calcul de la réserve et de la quotité disponible au décès du donateur. Cette stratégie résout la problématique de la donation d’autres biens aux descendants non-repreneurs. Elle permet également de bénéficier de l’abattement de 75%, dans le cadre du pacte Dutreil, sur l’intégralité de la valeur des titres transmis, y compris la soulte : la taxation s’effectue selon les attributions théoriques (RM Vachet JO AN du 28 mars 2006), moyennant le respect des conditions du dispositif Dutreil, par l’attributaire des titres (le petit-enfant repreneur dans cette hypothèse). Les droits de donation sont calculés d’après le lien de parenté existant entre le donateur et le donataire, tant pour l’application de l’abattement de droit commun que le tarif en ligne directe. Si le donateur a moins de 70 ans, et que la donation est consentie en pleine propriété, l’exonération partielle issue du pacte Dutreil se cumule avec une réduction de 50% du montant des droits de donation (article 790 du CGI).

Comprendre le mécanisme de la soulte

La soulte est en principe payable comptant lors de la donation. L’acte peut cependant prévoir, avec l’accord des descendants non-repreneurs, un délai de règlement. On parle de soulte payable à terme. La loi prévoit alors un mécanisme légal et d’ordre public de réévaluation de la soulte si le bien attribué au débiteur (ici l’entreprise) a connu une variation de valeur de plus du quart (article 828 et 1075-4 du code civil).

Dans ce cas de figure, la soulte est réévaluée dans les mêmes proportions. Il est également possible d’aménager conventionnellement une indexation. Celle-ci ne pourra néanmoins pas être moins favorable que la règle légale, le terme devra donc être relativement proche. À défaut, on se prive en effet en tout ou partie des vertus de la donation-partage transgénérationnelle.

Le schéma demeure complexe. Il soulève la question du financement de la soulte par l’attributaire des titres, ce qui constitue une problématique épineuse et déterminante de sa mise en place. Le repreneur devra en effet financer la soulte, immédiatement ou de manière étalée dans le temps, par la mise en place de revenus d’activité ou de dividendes, sans omettre la question d’une éventuelle revalorisation de la soulte.

Conseils pour faciliter cette opération

En pratique, il est souvent conseillé au donataire alloti de l’entreprise d’apporter les titres grevés de la soulte à une société holding qu’il constitue seul. Pour les opérations d’apport réalisées depuis le 1er janvier 2019, l’exonération partielle du pacte Dutreil n’est pas remise en cause, quelle que soit la phase d’engagement de conservation, sous réserve de respecter les conditions suivantes :

  • La valeur réelle de l’actif brut de la holding est, à l’issue de l’apport et jusqu’au terme des engagements de conservation, composée à plus de 50% de participations dans la société soumise à ces engagements (valeur vénale),
  • 75% au moins du capital et des droits de vote de la holding sont détenus par l’attributaire des titres et éventuellement par les signataires de l’engagement collectif de conservation, et la holding doit être dirigée par une ou plusieurs de ces personnes,
  • L’apport à la holding est possible dès lors que la transmission a porté sur une société d’exploitation ou une société interposée, dans la limite d’un niveau d’interposition,
  • La holding doit prendre l’engagement de conserver les titres apportés jusqu’au terme des engagements, et les associés de la holding prennent l’engagement de conserver les titres reçus en rémunération de l’apport jusqu’au terme des engagements.

La société holding peut refinancer la soulte par une dette bancaire. Si la holding est soumise à l’IS, elle pourra rembourser sa dette à l’aide de remontées de dividendes de la société opérationnelle filiale (également soumise à l’IS), avec option pour le régime mère-fille (article 145 et 216 du CGI). Seule une quote-part de frais et charges de 5% des dividendes perçus sera assujettie à l’IS, au taux de droit commun de 26,5% pour 2021, soit une taxation réduite à 1,33%.

Dans le cadre d’un schéma de transmission familiale d’une entreprise combinant la donation- partage, le versement d’une soulte et l’application du pacte Dutreil, la donation des titres est généralement réalisée en pleine propriété. La donation de la nue-propriété n’est pas nécessairement pertinente, compte tenu du fait que l’opération consiste à transmettre l’entreprise afin que l’attributaire des titres puisse reprendre l’activité. La conservation de l’usufruit par le donateur priverait le donataire des fruits issus de l’exploitation de l’activité permettant de rembourser la dette bancaire contractée par la société holding dans le cadre du financement de la soulte.

Exemple de stratégie de transmission familiale

Mr Durand, âgé de 62 ans, est dirigeant de l’entreprise SAS « L ». Il est marié sous le régime de la séparation de bien, il a 3 enfants (Pascal, Pierre et Sandrine), et il souhaite transmettre son entreprise à sa petite-fille Emilie (fille de Sandrine), en qualité de repreneur.

La société d’exploitation est valorisée 4 500 000 € et génère un résultat moyen annuel de l’ordre de 670 000 €.

Mr Durand souhaite partir à la retraite et il envisage la transmission de la totalité de ses titres en faveur d’Emilie, tout en assurant l’équité entre chaque souche. Dans un premier temps, il pourra signer seul un engagement collectif de conservation sur les titres de la SAS « L » pour prétendre au bénéfice du régime Dutreil. Il pourra ensuite réaliser une donation-partage transgénérationnelle entre eux, aux termes de laquelle Emilie se verra attribuer la pleine-propriété de la totalité des titres. A charge pour elle de verser une soulte à ses deux oncles et à sa mère de 3 750 000 € au total, soit la répartition suivante :

1 500 000 € pour Pascal et Pierre,

750 000 € pour sa mère Sandrine (soit un total de 1 500 000 € pour cette souche).

L’engagement collectif pris préalablement à la donation permet de bénéficier d’une exonération partielle de 75% sur l’assiette des droits de mutation à titre gratuit, à condition qu’Emilie respecte un engagement individuel de conservation des titres reçus pendant 4 ans.

Calcul des droits :

Focus sur

Emilie va créer une société Holding, de type SASU, dans laquelle elle pourra réaliser un apport de la totalité des titres transmis par son grand-père, pour un montant de 4 500 000 €. L’article 787 B du CGI autorise une telle opération sans remettre en cause le bénéfice du régime Dutreil, sous réserve de respecter un certain nombre de conditions. Le financement de la soulte due sera réalisé par la société holding au moyen d’un emprunt bancaire de 3 750 000 €, sur une durée de 7 ans, avec une annuité de 562 832 €. Le remboursement de l’emprunt souscrit par la holding d’Emilie sera assuré par la remontée des dividendes de la société opérationnelle SAS « L ». Afin d’éliminer l’effet de la double imposition, l’article 216 du CGI (code général des impôts) permet d’exonérer la distribution de dividendes d’une fille vers sa mère à l’exception d’une quote-part de 5%, ce qui revient à un frottement fiscal de 1,325% avec un taux d’IS de 26,5%.

 

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