
Rencontre avec Marc Briand, Head of Fixed Income, Mirova
Mirova est l’un des pionniers de l’investissement responsable en France. Avec plus de 10 milliards d’euros d’encours sous gestion, il séduit des investisseurs toujours plus nombreux, grâce à un processus de sélection des actifs extrêmement rigoureux. Une preuve que l’asset management peut appliquer des critères exigeants en matière d’investissement responsable tout en visant la performance.
En quoi consiste une approche socialement responsable en matière de gestion d’actifs ?
L’investissement socialement responsable (ISR) regroupe des pratiques encore très variées dans le secteur financier. Les gérants n’adoptent pas tous le même niveau de contraintes, n’appliquent pas tous le même degré de sélection dans les valeurs. Chez Mirova, la société de gestion affiliée à Natixis Investment Managers dédiée à l’investissement durable, nous pratiquons un investissement socialement responsable de conviction. Pour cela, nous nous sommes fixés des objectifs clairs : l’ensemble de notre gestion est alignée sur un scénario de réchauffement climatique de +2 °C. Quant à nos portefeuilles obligataires, ils respectent un scénario +1,5°C. La gestion « classique », ou légèrement teintée d’ISR, reflète quant à elle un scénario moyen de +3,5°C à + 4°C. Nous sommes en mesure de prouver que nous menons une gestion de conviction ce qui, aujourd’hui, est un enjeu de crédibilité pour le secteur.
Quel est le poids de la collecte ISR au sein du secteur de la finance ?
Elle est encore minoritaire, mais en croissance forte. Celle-ci est notamment soutenue par la gestion privée et le family office. Les investisseurs sont, en effet, de plus en plus nombreux à vouloir donner du sens à leurs placements, notamment la génération dite des millenials. La tendance est également forte dans des pays comme le Canada, les Pays-Bas, la Suisse, la Belgique, le Luxembourg ou l’Irlande. Leurs acteurs bancaires n’hésitent pas à se tourner vers notre expertise.
L’investissement responsable est-il un argument marketing ou un changement en profondeur du secteur de la finance ?
La crise des subprimesa marqué le monde de la finance car chaque acteur, à son niveau, portait un degré de responsabilité. Il en a découlé une prise de conscience et une volonté réelle de financer un monde plus durable. Il est vrai que les pratiques en matière d’ISR demeurent encore hétérogènes, mais les mentalités ont évolué, que ce soit du côté des investisseurs particuliers ou des établissements financiers. Beaucoup de banques ont ainsi noué des partenariats avec Mirova, pour être en mesure de proposer une offre ISR à leurs clients.
Comment cette approche responsable se traduit-elle dans votre sélection de valeurs et votre gestion ?
Nous avons une équipe de plus de 100 experts, dont 10 analystes ESG, qui effectuent une analyse absolue de chaque actif, selon un principe risques/opportunités. Nous analysons les pratiques des entreprises face aux enjeux du développement durable, de la gouvernance, notamment sous le prisme des principes fixés par les Nations-Unies. Nous évaluons également leurs émissions carbones, y compris les émissions évitées, dans une approche cycle de vie -l’approche la plus complète-, afin de juger si la société s’inscrit dans le scénario de réchauffement climatique soutenable selon la communauté internationale. Nous appliquons cette méthode à tous les types d’actifs, et la conjuguons avec une approche financière traditionnelle.
Sur le marché obligataire, nous privilégions les émissions vertes des entreprises, des agences, régions ou des Etats. Sur nos 2 milliards d’euros d’encours obligataires, les obligations vertes et sociales pèsent 1,2 milliard.
En termes de stratégie, nous investissons en analysant les grandes transitions qui vont restructurer le monde, comme le vieillissement de la population, la digitalisation… Nous sélectionnons les entreprises bien positionnées par rapport à ces transitions, celles qui ont un business modelinnovant.
Nous nous impliquons ensuite auprès des entreprises dans lesquelles nous avons investi. Nous les encourageons à modifier leurs pratiques, pour aller vers un modèle toujours plus durable et responsable.
Tous les secteurs d’activité peuvent-ils être présents dans un fonds ISR, même ceux qui semblent en opposition avec l’idée même d’investissement responsable ?
Cela dépend des exigences des fonds. Certains, sur le marché, se contentent d’une approche « best in class », qui consiste à prendre le moins mauvais acteur d’un secteur, y compris de ceux qui n’apportent pas de solutions aux enjeux du développement durable comme le secteur pétrolier.
Nous avons choisi une approche « best in universe ». Nous n’hésitons pas à exclure des secteurs entiers, si nous ne les jugeons pas compatibles avec nos objectifs en matière d’ISR. Voilà pourquoi aujourd’hui, nous n’avons aucune valeur pétrolière dans nos fonds car aucun groupe n’a été assez loin dans sa transition vers les énergies renouvelables. Nous excluons également d’emblée les secteurs qui ne sont pas éthiques, comme le jeu ou le tabac. Sur le segment obligataire, 26 % des émetteurs sont ainsi exclus de notre univers d’investissement.
L’approche ISR est-elle aussi performante que les autres types de gestion d’actifs ?
La performance a vocation à être en ligne ou supérieure avec celle de la gestion classique, mais présente une plus forte volatilité. Sur un horizon de moyen terme, de 3 à 5 ans, l’ISR permet d’éviter d’une part les cygnes noirs, comme les entreprises qui se retrouvent à gérer des procès coûteux et dont le cours de bourse s’effondre ou des produits que ne correspondent pas aux enjeux du développement durable. D’autre part favorise les entreprises gagnantes de demain, dont les cours, à l’inverse, s’apprécient sur la durée.
Côté obligataire, ce principe est également à l’œuvre. Nous avons, par exemple, en portefeuille le producteur d’électricité Energia de Portugal. Il a réorienté sa stratégie vers le solaire et l’éolien il y a déjà plusieurs années. Cela lui a fait gagner des parts de marché. Il y a un an et demi, sa note a été relevée par Moody’s. L’émetteur est passé de la catégorie high yield(haut rendement) à investment grade(première qualité), créant de la valeur pour le porteur de dette. Quant aux obligations vertes et sociales, elles procurent le même rendement que les titres classiques. Nous sommes convaincus que cette gestion ISR performante, centrée sur le développement durable, a vocation à se développer.